Brasser une NEIPA : Guide technique pour brasseurs amateurs

Brasser une NEIPA : Guide technique pour brasseurs amateurs

Au cours de la décennie, la New England IPA (NEIPA), s’est imposée comme un style phare du monde brassicole artisanal. Derrière son apparente exubérance (robe trouble, texture veloutée et arômes explosifs de fruits tropicaux) se cache une approche technique exigeante. Grande fan de ce style, j'ai voulu actualiser mes recherches sur le sujet, je vous résume ici les bases de ce qu'il y a à savoir pour brasser ce style pas comme les autres. J'ai divisé cet article entre les différents ingrédients qui composent une bière, avec à chaque fois, l'impact que l'on cherche à accentuer.

NEIPA, tour d'horizon 2025, c'est parti.

1. Profil d’eau : l'optimiser pour un corps texturé


Ajout de sels de brassage dans mon eau.

On le sait, l'eau est souvent le dernier ingrédient dont on se préoccupe quand on brasse. Pourtant, il peut jouer un rôle décisif dans l'élaboration d'une recette. Pour la NEIPA, on cherche à donner un support à toutes ces notes houblonnées, à avoir du corps. L'eau est l'un des paramètres qui pourra y contribuer.

  • Rapport chlorures/sulfates : privilégier un ratio d’au moins 2:1 (1), voire jusqu’à 3:1 (2), avec des chlorures élevés (~150 ppm) pour accentuer un côté "velouté".

  • pH : viser une plage entre 5,2 et 5,4 à l'empâtage pour optimiser l’extraction et la stabilité aromatique (2).

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2. La liste de grains : corps et trouble

Allez, rentrons dans le vif du sujet, je dirais qu'avec le houblon, la base maltée et l'ingrédient qui doit briller dans ce type de bière. On cherche à obtenir un corps bien présent et un trouble qui dure dans le temps :

  • Malt de base : Pale Ale, Pilsen ou même Maris Otter, ici, le choix du malt de base est assez ouvert. Privilégiez le Pilsen pour une base la plus claire possible, le Pale Ale pour un peu plus de profondeur et le Maris Otter (voire même le Maris Otter n°19) pour encore un peu plus de caractère et de complexité. Libre à vous de mélanger plusieurs malts de base pour combiner plusieurs avantages ;)

  • Flocons d’avoine et de blé (15–30 %) : ils apportent protéines, onctuosité et trouble caractéristique. Optez pour leurs alternatives maltées (non sous forme de flocons) pour un goût plus prononcé et - en ce qui concerne le blé - un trouble qui tient mieux dans le temps.

  • Ajouts éventuels : envie d'élever le curseur du corps et du sucré ? Vous pouvez ajouter un petit pourcentage de Malt Cara Pils, ou même parfois de lactose pour un rendu toujours plus velouté et doux.

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3. Le houblon : maximiser les arômes, minimiser l’amertume

Ajout de houblon en hopstand.

Comme dans toutes les IPA, le houblon est le cœur de ce style, mais, lorsque l'on cherche de l'amertume chez ses congénères, la NEIPA se différencie par son accent très marqué sur l'expression aromatique de ses houblons. Pour optimiser l'extraction et ainsi tirer le meilleur parti de ses huiles, certains ajouts sont à privilégier sur d'autres :

  • Houblonnage chaud (hopstand) : un grand nombre de recettes de NEIPA ont pour premier ajout de houblon le hopstand, c'est à dire l'ajout pendant le refroidissement. Pourquoi ? Les huiles essentielles étant très volatiles, elles supportent un peu mieux l'ajout après l'ébullition et se retrouvent donc plus facilement dans la bière finie. À titre indicatif, ajoutez le houblon à hauteur de 8 à 12 g/L)(3) à des températures allant en général de 90 à 70°C. Un ajout tout bénef : on extrait mieux les huiles et on limite la montée de l'IBU, pour limiter l'amertume de notre bière.

  • Dry hopping massif : en matière de dry hop, il y a quelques années, je vous aurais dit "sky is the limit". En pratique, je vous conseillerais plutôt de ne pas trop abuser sur la quantité de houblon ajoutée dans le fermenteur. Compter sur une fourchette entre 10 et 15 g/L, ça devrait être bien suffisant.
    Un seul dry hop ou DDH (double dry hop) ? Là j'ai envie de dire, à vous de voir et de peser le pour et le contre. Le DDH implique un ajout en début de fermentation (un peu avant la fin de la phase active), pour profiter au mieux de la biotransformation mais induit également une plus grande échappée de nos fameuses huiles essentielles à travers le barboteur.
    Le DH simple (un seul ajout de houblon, en fin de fermentation), implique une meilleure "conservation" des huiles essentielles dans notre fermenteur - et donc dans notre bière - MAIS moins de biotransformation (la levure a un peu plus la flemme à ce moment-là..). J'ai aussi souvent lu que faire deux petits ajouts est plus bénéfique qu'une seule grosse charge. À vous de voir donc, ce que vous préférez privilégier.

  • Mash hopping (optionnel) : vous avez loupé toute la mouvance autour des thiols et de leur optimisation dans les bières aromatiques ? Difficile d'aborder le sujet en entier ici. En résumé, les thiols ce sont des composés aromatiques présents dans le houblon. Certains sont "libres" et seront donc restitués plus facilement tels quels dans la bière, d'autres sont "liés" (bound), sous forme de précurseurs de thiols et ont donc besoin d'être libérés pour développer tout leur potentiel. Le mash hopping est une technique pour récupérer encore plus de ces précurseurs de thiols. En gros, on ajoute du houblon avec les grains, lors de l'empâtage, où certaines enzymes des grains vont libérer certains précurseurs de thiols (pour qu'ils soient ensuite libérés par la levure). J'en parle beaucoup plus en profondeur dans cet article.

  • Variétés typiques utilisées dans les NEIPA : Citra, Mosaic, Galaxy, Nelson Sauvin, Simcoe, Eclipse, Alora, Sabro... Je vous ai déjà dit que "sky is the limit" ..? Difficile de tous les nommer tant il y a de possibilités. Si vous ne savez pas vers quelles variétés vous orienter, je vous invite à jeter un oeil à cet article, où je répertorie mon top 10 de 2025 :)

  • Attention à l’oxydation : ennemi numéro des IPA en général mais encore plus des NEIPA, je vous invite à limiter au maximum les transferts, à purger au CO₂ si possible et à prendre toutes les précautions nécessaires au moment du/des dry hop(s).

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4. Plus de précisions sur le dry hop

Dernièrement, je me suis beaucoup penchée sur le sujet du dry hop. J'en ai fait - entre autre - un article plutôt détaillé, je vous invite à y jeter un oeil juste ici.

Voici un résumé rapide des principaux points à prendre en compte :

  • Quantité : pour une NEIPA, la fourchette est assez haute, entre 10 et 15g/L voire plus .. 

  • Timing : j'en parlais déjà plus haut, dans le paragraphe dédié au houblon, plusieurs options s'offrent à nous en matière de dry hop :

    • soit un simple ajout en fin de fermentation

    • soit deux ajouts : le premier vers la fin de la fermentation active et le second, en fin de fermentation.


      Ajout de houblon pendant la fermentation active (pour un DDH).

  • Température : l'extraction optimale se produirait entre 10 et 14°C.

  • Durée de contact : 2 à 4 jours suffisent ; au-delà, risque d’arômes herbacés ou végétaux.

  • Pratiques conseillées :

    • Limiter l’oxydation (purge CO₂, transferts fermés).

    • Fractionner les ajouts pour maximiser la fraîcheur aromatique.

    • Adapter les variétés de houblon en fonction du profil recherché (fruité, tropical, résineux, etc.).

En résumé, le dry hop repose sur l’équilibre entre quantité, timing, température et durée de contact, avec une vigilance particulière sur l’oxydation pour préserver au mieux le résultat final.

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5. La levure : la touche finale pour accompagner ou laisser briller

Sachet de levure Verdant IPA, prêt à être ajouté dans mon fermenteur.

Le choix de la levure est déterminant pour produire le profil fruité attendu. Certains vont préférer privilégier l'expression du profil du houblon et se tourner vers des levures assez neutres tandis que d'autres vont vouloir décupler les arômes et opter pour des levures ultra expressives. Quoi qu'il en soit, je vous liste ici une petite sélection des candidates qui me semblent intéressantes à explorer pour fermenter une NEIPA. À noter que cette liste est bien sûr loin d'être exhaustive.

  • Souches pour NEIPA :

    • Verdant IPA (Lallemand) : sur tous les forums que j'ai pu consulter, la Verdant IPA est largement citée comme l'une des meilleures alternatives pour fermenter une NEIPA. Des notes d'abricot, de fruits tropicaux, d'agrumes et une atténuation moyenne en fond un choix très intéressant pour ce style ! Attention tout de même à ne pas dépasser un certain seuil de température et à bien respecter le dosage recommandé, au risque de vous retrouver avec des alcools fusels assez désagréables (dédicace à ma battle perdue contre les copains de BnB Brewers </3).

    • Voss (Lallemand ou WHC) : cette souche Kveik revient souvent également. Connue pour développer des notes proéminentes d'orange, elle est robuste, résiste aux températures élevées et fermente rapidement (kveik oblige).

    • S-04 (Fermentis) : c'est LA levure présentée par Fermentis comme étant la candidate idéale pour la NEIPA. Ses esters légers de fleurs et de fruits lui permettent certainement d'accompagner le houblon, tout en lui laissant la place pour briller.

    • Hornindal (WHC en version sèche ou Omega Yeast en version liquide) : appartenant également à la famille des levures kveik, la Hornindal va, elle, plutôt développer des notes de fruits tropicaux, notamment de mandarine, d'ananas et de mangue.

    • WLP077 (White Labs - levure liquide) : ce blend de toutes les levures de White Labs au haut potentiel de biotransformation, donne des notes axées sur les fruits tropicaux (fruit de la passion, pamplemousse, mangue).

    • Pomona (Lallemand) : l'une des dernières nées de Lallemand, fruit d'une collaboration étroite avec la marque canadienne Escarpment Labs, la Pomona offre des notes d'agrumes et de fruits tropicaux.

    • Pineapple Passion (WHC) : cette souche au nom révélateur donne des notes intenses d'ananas et son atténuation faible en fait un choix de prédilection pour une NEIPA "juicy", intense et avec du corps, tout ce qu'on aime.

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6. Idée recette

Vous voulez vous lancer mais n'avez pas forcément envie de vous aventurer dans la création d'une recette à partir de zéro ? Je vous propose cette NEIPA Citra-Mosaic (disponible directement en kit ici, si ça vous dit) : une liste de grain simple qui servira de support pour le combo de houblons par excellence, que dis-je, le duo iconique Citra-Mosaic. 

[Recette] NEIPA Citra-Mosaic

Méthode : eBIAB
Volume : 23 litres 
Efficacité : 72% 
DI : 1.057
DF : 1.011
IBUs : 7
ABV : 6% 

MALTS
4,2 kg Malt Pilsen 2RS (70 %) 
1,2 kg Froment malté(20%) 
0,6 kg Flocons d'avoine (10%)

HOUBLONS ET AJOUTS
40 gr     Citra [13% AA] @ Hopstand - 10min à 80°C 
40 gr     Mosaic [11.6% AA] @ Hopstand - 10min à 80°C
100 gr   Mosaic [11.6% AA] @ Dry-hop (houblonnage à cru) 3 jours
100 gr   Citra [13% AA] @ Dry-hop (houblonnage à cru) 3 jours

LEVURE
2 sachets Lallemand LalBrew Pomona
ou 1 sachet Kveik Yeastery K.22 Stalljen

INSTRUCTIONS

  • Empâter les grains à 67°C pendant 60 minutes.
  • Faire un mash-out à 75°C (optionnel).
  • Porter à ébullition pendant 60 minutes.
  • Refroidir le moût pour atteindre 80°C.
  • Ajouter les houblons en hopstand.
  • Maintenir la température pendant 10 minutes.
  • Refroidir le moût pour atteindre environ 20°C (si levure Pomona) ou 30°C (si levure Stalljen).
  • Verser dans le fermenteur.
  • Laisser fermenter pendant environ 3 semaine à environ 20°C si levure Pomona (ou environ 2 semaines à environ 30°C si levure Stalljen).
  • Une fois la fermentation terminée, idéalement, baisser la température jusqu'à atteindre entre 10 et 14°C (optionnel).
  • Faire le dry hop 3-4 jours avant la mise en bouteille ou en fût.
  • Faire la carbonatation entre 2 et 2,5 vol. de CO2. 

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Conclusion

Quand je parle du brassage, j'ai l'habitude de dire que l'on s'impose soit-même son niveau de difficulté. Je m'explique : un débutant (ou pas d'ailleurs 🫠) ne s'inquiétera peut-être pas de son profil d'eau ou n'aura peut-être pas le matériel dernier cri et pourra tout de même faire une très bonne bière. Pour les NEIPA, je contrasterais cette réponse en mettant l'accent sur la maîtrise et le contrôle, notamment de la "non oxydation" de votre bière. Ça peut vraiment détruire votre bière et la rendre imbuvable. TOUTES les étapes mises en place pendant et/ou après la fermentation doivent donc être effectuées avec beaucoup, beaucoup de précautions. Si chaque paramètre est optimisé, vous serez récompensé par l'obtention d'une bière intense, juteuse et veloutée, capable de rivaliser avec les meilleures brasseries artisanales. 

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Sources :
(1) https://www.brewcabin.com/hazy-ipa/
(2) https://hazyandhoppy.com/everything-i-learned-from-1-year-of-brewing-new-england-ipas/
(3) https://getollie.com/blog/brewing-best-hazy-ipa
https://homebrewersassociation.org/how-to-brew/tips-brewing-new-england-ipa/
https://secretlevelbrewing.com/brew-next-level-neipa.html 
https://www.motlerhops.fr/blogs/conseils-pour-brasseurs/guide-dry-hopping-houblonnage-a-cru

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