
Kettle Sour « express » à la kveik : méthode pour une bière acidulée en un temps record
Comme tous les ans pour mon anniversaire, j’aime tenter un truc expérimental. Cette année, j'ai voulu surprendre mes convives avec une bière inspirée d'un style historique que je convoite depuis longtemps : la Lichtenhainer, une bière légère, au profil équilibré entre fumé et acidité. Tout un programme. Au-delà du style, je me suis frottée à une autre grande première pour moi : un kettle sour en mode express, avec co-pitch Lactobacillus + kveik à 35 °C. Résultat : une bière prête en un éclair, moins de risques de contamination, et des invités qui en redemandent. Je vous raconte.
Le kettle sour : c’est quoi, et pourquoi l’utiliser ?
La technique du kettle sour consiste à acidifier le moût avant la fermentation en y inoculant une bactérie lactique, puis à lancer la fermentation avec une levure classique. En gros (je vous décrirai ça plus en détail dans la suite de cet article) : on empâte, on porte à ébullition pendant 5-10 min, on refroidit, on baisse le pH, on ajoute la bactérie, on attend environ 12 à 24h, on baisse la température aux alentours de 20°C et on fermente comme d'habitude avec une levure classique. Par rapport aux méthodes « lentes », c’est rapide (12–48 h) et plus facile à contrôler.
Si le kettle sour "classique" permet déjà d'obtenir une bière acide de façon beaucoup plus rapide qu'une acidification plus "libre", il existe un moyen de gagner encore plus de temps, grâce à la levure Kveik. Je vous explique en comparant les deux façons de procéder. Je mets en gras ce qui diffère entre l'une et l'autre méthode.
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Kettle sour « classique » :
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- Empâtage.
- Ébullition de 10 minutes.
- Refroidissement aux alentours de 35°C.
- Acidification du moût jusqu'à atteindre environ 4,5.
- Ajout de la bactérie lactique.
- Fermeture hermétique de la cuve (avec du film alimentaire par exemple) et, si possible, ajout de CO2 en cuve pour limiter encore plus le risque d'infection.
- Maintien de la température pendant environ 12 à 24h (jusqu'à atteindre le niveau d'acidité désiré). Viser un pH final 3,2–3,6.
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Re-ébullition pour tuer le lacto et reprise du brassin comme pour n'importe quelle autre recette (ajout du houblon, refroidissement, ajout de levure, mise en fermentation).
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Kettle sour « express » à la kveik (la méthode que j'ai utilisée ici) :
- Empâtage.
- Ébullition de 10 minutes (personnellement j'ai ajouté mon houblon à ce moment-là).
- Refroidissement aux alentours de 35°C.
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Mise en fermenteur à cette température (35°C) et ajout de la bactérie lactique et de la levure kveik.
Résultat : plus besoin de maintenir la cuve à température pendant 12 ou 24 heures. La levure et la bactérie ont travaillé en même temps, et en quelques jours à peine, ma bière était prête à être carbonatée !
Cette méthode, c'est Nicolas de la Brasserie Pikadili, qui m'en avait parlé lors d'une interview qu'il m'avait accordée sur ma chaîne Youtube. Sur le moment, elle me paraissait tellement simple que j'avais même du mal à y croire.
Pour ce premier test, j'aurais peut-être certaines choses à affiner mais ce qui est sûr, c'est que je ne suis pas prête de repasser à un kettle sour "classique" maintenant que j'ai testé la version express.
Version "nature"
Le style Lichtenhainer
On parle on parle mais je ne vous ai pas beaucoup parlé du style qui m'a inspirée : la Lichtenhainer. Style historique allemand, plusieurs caractéristiques le distinguent de ses homologues :
- un taux d'alcool faible (entre 3,5 et 4,7%)
- des notes fumées
- une acidité lactique légère à modérée, sans aucun côté "funk" et généralement moins marquée que pour une Berliner Weisse
- très (très) peu d'amertume (entre 5 et 12 IBU)
- Une carbonatation élevée
Les sources historiques divergent sur la céréale (certaines décrivent une bière 100% orge fumé, d’autres un mix entre orge et blé), et les versions modernes acceptent les deux approches : typiquement 30–50 % de blé aux côtés de malt fumé, mais 100 % orge reste plausible.
En bref : un mariage rare et unique de fumé et d'acidité, décrit dans le guide BJCP comme étant à son apogée de popularité à la fin du XIX°siècle, particulièrement en Thuringe, dont le style est originaire.
Ma recette
Comme je vous le disais, ça faisait un loooong moment que j'avais envie de tenter de brasser ce style, je vais aborder ici comment j'ai adapté les spécificité de ce style à ma recette.
- On commence par le côté fumé. Ça bien sûr, ça va principalement se jouer à travers la liste de grains. J'avais déjà expérimenté avec le malt fumé mais sans jamais oser dépasser les 15%. Ici j'ai voulu tenter le tout pour le tout et j'ai doublé ce pourcentage. Je suis donc partie sur 1/3 de malt fumé, 1/3 de froment malté et 1/3 de malt Pilsen.
- Pour l'amertume quasi inexistante, j'ai simplement ajouté 5g du houblon Hallertau Mittelfrüh, en début d'ébullition. Pourquoi si peu ? Dans la plupart des cas, les lactos et les houblons ne font pas bon ménage, l'action du houblon pouvant stopper l'activité du lacto, empêchant ainsi le développement de l'acidité de la bière.
- Justement, parlons-en du lacto. Il y a pas mal de souches disponibles, pour cette recette j'ai choisi de tester le Lactobacillus blend 2.0 de chez Escarpment Labs. Très simple d'utilisation, pensez simplement à bien sortir le sachet du frigo en début de brassin pour que le lacto s'acclimate à la température ambiante et limiter le choc thermique au moment de l'ajout dans le moût. Dans son interview, Nicolas me parlait également de yaourt mais personnellement je n'ai encore jamais testé, je suis curieuse de lire ceux qui auraient déjà tenté l'expérience.
- Enfin, passons à la levure. Dans la famille des Kveik, il y a pas mal de choix. Pour cette recette j'ai voulu tester pour la première fois une souche de chez Kveik Yeastery, la K.14 EITRHEIM qui peut fermenter jusqu'à 38°C et développer des notes d'abricot, de pêche, d'orange et d'ananas, rien que ça.
Tentative de twist gourmand
Pour pousser l'expérimentation jusqu'au bout, j'ai voulu tenter une version plus gourmande sur la moitié de mon brassin en y ajoutant de la purée de pêche blanche et une teinture à la vanille. Voici comment j'ai procédé.
À la fin de la fermentation, j'ai transféré une première moitié de ma bière dans un keg, direction la carbonatation pour la laisser telle quelle. Dans la seconde moitié, restée dans le fermenteur, j'ai ajouté deux litres de purée de pêches blanches (je ne sais pas pourquoi, je me disais que la pêche et le fumé pouvaient bien fonctionner ensemble). J'ai alors laissé la levure refermenter tout ça pendant quelques jours et j'ai ensuite transféré ça dans un keg où j'ai préalablement ajouté ma teinture de vanille. Si vous ne savez pas comment faire une teinture ou à quoi ça sert, je vous invite à lire cet article :)
La version twistée
Résultat final
- Version "nature" : Wouah ! On retrouve toute la promesse : le côté fumé bien présent sans être écoeurant, une légère acidité qui vient équilibrer parfaitement ce côté fumé, un corps très léger et rafraîchissant. Personnellement, j'ai adoré cette version, elle se boit toute seule et elle a d'ailleurs fait l'unanimité parmi mes invités !
- Version twistée : un nez ultra gourmand, mêlant la pêche, la vanille et le fumé en fond. Ça donne vraiment envie d'y aller, comme si on allait déguster une tarte à la pêche liquide. En bouche, on retrouve bien ce côté gourmand mais légèrement "cassé" par l'acidité, un peu plus marquée que sur la version "nature". Déroutant pour un palais non habitué à ce genre de bière, très intéressante mais moins "pintable" que la version 1.
En bref, j'ai beaucoup aimé les deux versions mais la "nature" était beaucoup plus "pintable" et a eu beaucoup plus de succès auprès des palais néophytes que la version twistée, plus particulière. Je vous invite à juger ces recettes par vous-même, n'hésitez pas à me faire un retour si vous décidez de tenter l'expérience :)
[Recette] Smoky Birthday - Lichtenhainer Express
Méthode : eBIAB
Volume : 21 litres
Efficacité : 70%
DI : 1.037
DF : 1.008
IBUs : 1
ABV : 3,8%
TEMPS D'ÉBULLITION : 10 min
MALTS
1,2 kg Malt Pilsen 2RS (33,3 %)
1,2 kg Froment malté(33,3%)
1,2 kg Malt fumé (33,3%)
HOUBLONS ET AJOUTS
5 gr Hallertau Mittelfrüh [3,3% AA] @10min
[VERSION TWISTÉE
4L Purée de pêches blanches @fin de fermentation
4 Gousses de vanille (en teinture) @mise en fût]
LEVURE
1 sachet K.14 Eitrheim de Kveik Yeastery
1 sachet Lactobacillus blend 2.0 d'Escarpment Labs
INSTRUCTIONS
- Concasser et empâter les grains à 65°C pendant 60 minutes.
- Faire un mash-out à 75°C (optionnel).
- Porter à ébullition pendant 10 minutes.
- Ajouter le houblon en début d'ébullition.
- Baisser la température jusqu'à atteindre 35°C.
- Verser dans le fermenteur.
- Ajouter le lacto + la levure dans le fermenteur.
- Laisser fermenter pendant environ 1 semaine à environ 35°C.
- Version twistée : ajouter la purée de fruits dans le fermenteur, en fin de fermentation + ajouter la teinture de vanille dans le seau de resucrage/le fût de carbonatation.
- Carbonater à 2,2 - 2,8 Vol de CO2.