
5 conseils pour créer une recette de bière
Alice Leroy 24/09/24 - 8 minutes.
En 2017, je faisais mon tout premier brassin et, je dois l'avouer, au départ j'étais très intimidée. Étant loin d'avoir un bagage scientifique, j'étais assez dubitative face à mes ingrédients fraîchement achetés. Pour moi, se lancer dans le monde du brassage, c'est un peu comme commencer à apprendre une nouvelle langue : il faut apprendre beaucoup de nouveaux termes (empâtage, maische, atténuation, floculation, etc.) et, il faut le dire, lire une définition n'est parfois pas suffisant. Pour réellement appréhender et "ressentir" certaines choses, l'expérimentation est souvent la clé. J'ai tout de même voulu relever le défi et, même si ma toute première bière était loin d'être parfaite, j'étais très fière d'avoir réussi à transformer ces fameux quatre ingrédients en une boisson buvable (bien que peu mémorable...).
Ma toute première bière !
Au fil des années, ma vision du brassage a évolué et plus j'en apprenais, plus j'ai ressenti l'envie de tester de nouvelles choses, d'expérimenter. Aujourd'hui, je dirais que je ne brasse plus à proprement parler "pour boire" (même si on ne va pas se mentir, c'est quand même sympa, toujours avec modération) mais plutôt dans le but de relever de nouveaux défis (trouver la meilleure base maltée pour une NEIPA, la meilleure combinaison de houblons possible, tenter l'ajout de différentes épices, avec des résultats plus ou moins concluants...).
Sept ans après mes débuts, je souhaite donc vous partager les cinq conseils qui, pour moi, sont les plus intéressants à prendre en compte pour se lancer, non pas dans le brassage mais dans la création de recettes et ainsi avoir accès à plus de créativité.
Conseil #1 - Le guide BJCP
Pour moi, (presque) toutes mes recettes commencent par le même rituel : aller faire un tour dans le guide BJCP pour en apprendre plus sur le style que je veux brasser. C'est quoi le guide BJCP ? C'est un guide qui répertorie pratiquement tous les styles de bières existants dans le monde, de l'IPA au Stout en passant par la Lichtenhainer ou encore la Roggenbier.
Extrait du guide BJCP de 2021, description du sous-style Imperial Stout.
Je prends d'abord des notes sur les points importants à prendre compte, chacun d'entre-eux me donnant une indication sur les différents malts et houblons à utiliser, certains processus à favoriser (comme la température d'empâtage qui donnera plus ou moins de corps, un ajout de houblon en whirlpool ou non, etc.) et la levure à choisir. Une fois que j'ai établi ces différents points, je vérifie les ingrédients que j'ai en stock et j'adapte ma recette si besoin.
Conseil #2 - 70% de malt de base
Pour débuter dans la création de recette, c'est pas mal de commencer avec un minimum de 70% de malt de base (en général Pilsen, Pale Ale ou Maris Otter). Ça n'empêche pas de faire un SMASH (Single Malt And Single Hop) et d'utiliser uniquement le malt de base en question mais partir sur au moins 70% permet de tester d'autres malts ou grains (malts caramel, malts torréfiés, flocons ...) en s'assurant une quantité suffisante d'enzyme pour transformer l'amidon des grains en sucres fermentescibles.
Conseil #3 - Contrôle de l'eau
Je n'aurais qu'une seule chose à dire ici : moneaudebrassage.fr. Voilà.
Plus sérieusement, si vous n'avez jamais modifié le profil de votre eau de brassage, je vous invite fortement à tenter l'expérience. Personnellement, depuis que j'ai commencé à le faire il y a quelques années, j'ai vu une nette différence dans le rendu de mes bières. Je ne sais pas trop comment expliquer cela mais on sent un produit plus maîtrisé, plus "pro". Bien sûr, tout dépendra du style que vous brassez et de la source d'eau que vous utilisez mais dans la majorité des cas, ça changera TOUT. Rien que ça. Comme je vous le mentionnais au début de cet article, je suis moi-même très loin d'être chimiste, c'est pourquoi je ne me fatiguerais jamais de vous recommander d'aller faire un tour sur le site moneaudebrassage.fr, où David et Eric ont fait un travail d'intérêt public : vous donner des indications pour vous accompagner dans l'ajustement de votre profil d'eau. C'est intuitif, simple et ultra accessible, tout ce que n'est pas la science en général (de mon point de vu, en tout cas) et je pense qu'on peut les remercier pour cela.
Conseil #4 - Les ajouts de houblon
Quand je commençais à peine à entrer dans le monde du brassage, pour moi il n'existait qu'une façon d'ajouter les houblons, c'était dans la cuve d'ébullition.
Alors oui, effectivement, selon le style on peut commencer par là, mais il y a tellement de choses à explorer dans ce domaine !
Si vous lisez ces lignes, vous le savez déjà certainement, le schéma d'ajout plutôt classique pour un houblon c'est principalement :
- début d'ébullition (@60 minutes) = amertume
- milieu/fin d'ébullition (vers @20-15 minutes) = saveurs
- fin d'ébullition (vers @5-0 minutes) = arômes
Mais au fil du temps, j'ai appris à appréhender une multitude d'autres façons d'ajouter ces petites bêtes, je les énumère ici, dans l'ordre chronologique d'une session de brassage - attention, liste non exhaustive.
- Le mash hopping : tout est dans le nom, on ajoute du houblon pendant le "mash" c'est à dire pendant l'empâtage, ce qui, dans les grandes lignes, va permettre de libérer certains précurseurs de thiols, qui seront à leur tour libérés dans le fermenteur, avec la levure adéquate (mais ça, c'est une autre histoire que vous pouvez approfondir juste ici).
- Le first wort : l'ajout de houblon en "first wort", avant le début de l'ébullition, est principalement pratiqué pour adoucir l'amertume de certains houblons. Personnellement j'y ai recours quand un houblon est réputé pour donner une amertume désagréable, trop franche. Comment décrète-t-on qu'un houblon donne ce type d'amertume, me direz-vous ? En général, ce sont les houblons qui ont un taux de co-humulone supérieur à 35%. Pour aller chercher cette info, je vous invite à aller faire un tour sur l'excellent site beermaverick.com.
- Le whirlpool ou hopstand : c'est l'ajout qui se fait après l'ébullition, pendant le refroidissement. L'avantage de ce type d'ajout : on préserve un peu mieux les huiles essentielles du houblon, on libère certains précurseurs tout en diminuant drastiquement le risque d'oxydation encouru par le dry hop. On peut ajouter le houblon à différents paliers de température, en cumuler plusieurs et, selon la température, certaines huiles essentielles seraient davantage libérées que d'autres. Selon une étude partagée par Scott Janish dans son livre The New IPA (que je vous recommande amplement) :
- un ajout à 95°C favoriserait le développement des notes d'agrumes et d'épices du houblon
- un ajout à 85°C favoriserait les notes florales et herbacées
- un ajout à 75°C favoriserait les notes boisées

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Le dry hop (ou houblonnage à cru) : c'est l'ajout le plus évident pour brasser n'importe quelle IPA. L'ajout en dry hop permet de préserver au mieux les huiles essentielles du houblon et ainsi de développer de la meilleure des façons possibles les notes que l'on adore : fruits tropicaux, agrumes, fruits à noyau, etc. Un article entier dédié à ce sujet ne serait pas suffisant, je résume ici au mieux en vous disant qu'il existe plusieurs types de dry hop, souvent soit un dry hop simple ou un double dry hop ou DDH pour les intimes. Le DDH est souvent pratiqué pour essayer de profiter au mieux de la biotransformation, cette interaction entre la levure et certains composés du houblon qui va libérer ou transformer certaines arômes qui ne s'exprimeraient pas ou différemment sans cela. J'ai justement écrit un article entier sur le sujet il y a quelques semaines, vous pouvez le retrouver juste ici et un article plus ancien qui parle des thiols juste ici.
Voilà pour le tour d'horizon des différents types d'ajout que j'ai expérimenté jusqu'à maintenant. Il en existe peut-être d'autre, n'hésitez pas à nous partager votre expérience sur le sujet dans les commentaires :)
Conseil #5 - Bien choisir sa levure
Aujourd'hui ça me paraît bien sûr évident mais il y sept ans, ça l'été beaucoup moins 🙃 La levure, c'est elle qui a le dernier mot sur votre moût (oui, je viens d'inventer cette phrase;) ). Je vous invite d'ailleurs à tenter l'expérience : prenez un brassin, divisez-le en deux fermenteurs distincts et ajoutez une levure différente dans chaque fermenteur (c'est encore mieux si elles sont très différentes, dans la limite du raisonnable). Au final, vous allez obtenir deux bières différentes (à un degré plus ou moins marqué selon la similitude des souches de levures utilisées, bien sûr). C'est un test que j'aime beaucoup faire, justement quand je veux comparer deux levures. Mais à partir de là, comment choisir sa souche ? Les levures ont chacune leurs particularités mais elles vont toutes être décrites avec les mêmes termes que je récapitule ici :
- L'atténuation : qui correspond au pourcentage de sucres que la levure va consommer. Plus le pourcentage est élevé, plus la levure consommera de sucres, plus le corps de la bière sera léger et rafraîchissant (mais donnera un taux d'alcool un peu plus élevé).
- La floculation : ce terme désigne la capacité qu'ont les cellules de la levure à sédimenter au fond du fermenteur. Plus le niveau de floculation est élevé, moins on aura de levure en suspension dans la bière.
- POF + ou POF - : une levure POF (Phenol Off Flavour) + est une levure qui est capable de produire des notes phénoliques, c'est à dire principalement des notes de clou de girofle ou d'épices. On retrouve généralement ce caractère dans certaines souches allemandes ou belges.
- Diastatique : une levure diastatique est une levure qui est capable de consommer des sucres complexes (des dextrines) en plus des sucres simples. C'est principalement le cas des levures de Saison. Résultat : une bière rafraîchissante au corps léger, très "pintable" et agréable à boire.
- La tolérance à l'alcool : très important à prendre en compte si on veut par exemple brasser un Imperial Stout !
Je crois qu'avec ce dernier conseil, j'ai fait le tour des principaux à prendre en compte quand on démarre la création de ses propres recettes. Je donnais déjà ces mêmes conseils (mais avec des explications plus hasardeuses) il y a trois ans quand je démarrais ma chaîne Youtube. J'ai récemment commenté (et critiqué) cette dernière dans une nouvelle vidéo que voici :
Je pense que selon le parcours de chacun, les conseils à donner peuvent être différents, n'hésitez pas à partager les vôtres :)
Alice MotlerHops
@ à Guillaume
Bonjour Guillaume, merci beaucoup pour ce commentaire ! Ça me touche beaucoup de voir que notre travail peut accompagner d’autres brasseurs.
Au plaisir d’échanger à nouveau :)
Guillaume
Très bon article récapitulatif. Ce qu’il y a de drôle, c’est que j’ai démarré le brassage en même temps que vous avez démarré votre chaîne YouTube. A l’époque, je devais revoir les vidéos et prendre des notes pour tout comprendre. Des années plus tard, je suis capable de lire vos articles ou regarder vos vidéos sans aucun soucis de compréhension ! Merci à vous pour le partage de connaissance et d’expérience, ainsi que pour votre site très bien fourni 👍👍👍