
Ma bière est infectée ? - Comment repérer une infection, la comprendre et l'éviter
Les infections, c’est la hantise de tous les brasseurs, moi la première. Alors la première fois que ça m’est arrivé, je dois l’avouer, j’ai un peu paniqué. Voir cette sorte de pellicule blanchâtre couvrir toute la surface de mon fermenteur, c’était comme si ma bière me disait « t'as déconné quelque part et maintenant, tu vas en payer les conséquences » (oui, ma bière me parle, et alors ?). « C’est quoi ça ? Comment s’est arrivé ? Est-ce que je dois tout jeter ? ». J’ai tenté de me repasser le film de chaque moment où j’aurais pu négliger le nettoyage et la désinfection de mon matériel : est-ce que j’ai bien nettoyé mes tuyaux ? Est-ce que mon fermenteur était vraiment propre ? Je n’ai peut-être pas assez bien désinfecté mes mains ? Si vous vous êtes déjà posé ces questions, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Alors dans cet article, on va voir ensemble ce qu’est une infection en brassage amateur, comment la détecter, quels sont les responsables, et surtout, comment éviter que ça vous arrive (ou que ça recommence).
Qu’est-ce qu’une infection dans la bière ?
Quand on parle d’infection, on parle de la présence d’un micro-organisme non désiré dans la bière. Ici, on va se concentrer sur les plus communes, celles qui pourront tout à fait vous donner envie de vider le contenu de votre fermenteur dans l’évier et de tout brûler (votre fermenteur, votre évier, votre cuisine, et peut-être même votre maison ..). Les principaux coupables ? Les bactéries Lactobacillus, Pediococcus (considérées comme responsables dans 60 à 90% des cas) et les Brettanomyces ou autres levures plus ou moins sauvages. Tous ces micro-organismes ont leur propre terrain de jeu (pH, température, nutriments) et certains d’entre eux, paradoxalement, sont même très recherchés dans les bières acides. Tout est donc une question de contexte, et de goût aussi.
Ce que vous voyez n’est pas toujours ce que vous croyez
Pour commencer, quand vous ouvrez votre fermenteur, il va falloir identifier ce que vous voyez. Quand on débute, certains résidus tout à fait « normaux » peuvent être pris, à tort, pour un signe d’infection, comme :
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Le krausen : dans les groupes de brasseurs amateurs, je vois régulièrement passer des posts inquiets accompagnés de photos d’un fermenteur ouvert où l’on voit clairement de simples résidus de krausen (traces de l’activité tout à fait normale de la levure). C’est vrai que la première fois, ouvrir un fermenteur peut surprendre et que ces traces ne sont pas des plus ragoûtantes mais on comprend vite que c’est au contraire une bonne nouvelle de les voir.
Krausen, ajout de dry hop pendant la phase active de fermentation - Hazy IPA thiolisée, octobre 2023.
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Les lies au fond du fermenteur : c’est aussi un résidu tout à fait normal lié à la fermentation. C’est en fait un amas de cellules de levures mortes et autres particules et résidus de houblons ou autre.
Lies de levure sur lit de dry hop en chaussette - Hazy IPA thiolisée (octobre 2023).
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Des bulles ou un film huileux en surface : souvent, c’est juste du CO2 ou un reste de produit de nettoyage mal rincé. Ça risque peut-être d’affecter la rétention de la mousse mais en dehors de ça : pas d’inquiétude !
Fermenteur ouvert de Black IPA, octobre 2021.
Par contre, si ce que vous voyez est plutôt un pellicule blanche, parfois plissée comme une sorte de système veineux, ou encore des motifs un peu gluants en surface : là, oui, c’est certainement une infection…

Découverte de ma bière infectée, août 2023
Des petites bêtes aux grands effets
- Lactobacillus : l’un des deux types de bactéries responsables de la production d’acide lactique dans les bières acides, on le retrouve également dans les yaourts. Mis à part l’acidité, le lacto ne donne pas réellement de goût à la bière. On l’utilise intentionnellement dans les Berliner Weisse et les Gose, et il est également un choix courant pour procéder à un « kettle souring ». Le reste du temps, il est tout de même difficile de le voir infecter l’une de nos bière sans notre aide : la plupart des lactos ne supportent qu’un niveau d’IBU très faible.
- Pediococcus : le deuxième type de bactéries responsable de la production d’acide lactique dans une bière acide. Elle met du temps à se développer mais elle peut produire du diacétyle (notes de beurre) en plus de l’acidité. Certaines souches de Pediococcus peuvent même rendre la bière visqueuse (ce qui a été le cas pour l’une de mes bières, je vous en parle prochainement..).
- Brettanomyces : la « Brett » est une levure sauvage souvent accusée à tort... ou à raison. Elle peut donner des notes de cuir, de cheval, d’étable, de cave humide, mais aussi des arômes fruités ou floraux. La plupart des Brettanomyces travaillent très lentement, il faut leur laisser le temps de décomposer les sucres complexes (les dextrines) pour les fermenter également alors, si on embouteille une bière avant qu’elles n’aient fini leur boulot, on s’expose à des risques d’explosions de bouteilles ..
- Levures sauvages diverses : il existe plein d’autres levures non contrôlées qui peuvent s’introduire dans la bière. Certaines donnent un goût de médicament (type sparadrap), d’autres du souffre ou du solvant. Un joli festival qu’on préfère laisser hors de nos fermenteurs.
Comment éviter une infection ?
- ON NETTOIE TOUT, partout, tout le temps : avant et après chaque usage. Comme le mentionne Michael Tonsmeire dans son livre « American Sour Beers », le nettoyage est aussi important que la désinfection. Je le cite : « les produits désinfectants sont fait pour fonctionner sur des surfaces libres de toutes matières organiques et non-organiques, qui peuvent servir de couche protectrice aux microbes ».
- Vous le voyez venir : ON DÉSINFECTE TOUT, partout, tout le temps (au moins jusqu’à ce que la bière soit bien enfermée dans son fermenteur). Il existe des produits désinfectants exprès pour ça, utilisez-les à l’aide d’un spray, c’est vraiment super pratique ! Pour le dosage, le temps de contact et la durée de vie du produit, je vous laisse vous référer au mode d’emploi de chaque fabriquant :)
- On vérifie son matériel régulièrement (et éventuellement, on le change). Je pense notamment aux fermenteurs en plastique : une rayure peut devenir un potentiel nid à microbes..
- Si possible : on démonte son matériel pour nettoyer chaque partie individuellement.
Quelques mots sur la sécurité :
Une bière infectée, est-ce dangereux pour la santé ? C’est une question qu’on se pose tous à un moment donné : est-ce que boire une bière infectée peut me rendre malade ? Et la réponse, dans la grande majorité des cas, est rassurante : non, une bière infectée n’est pas dangereuse pour la santé. Grâce à son pH acide (généralement entre 3,8 et 4,6), la présence d’alcool, et l’environnement pauvre en oxygène, la bière est un milieu très hostile pour la plupart des pathogènes humains.
Ceci étant dit, restez prudent : si vous voyez apparaître des moisissures colorées (vertes, noires, bleues), ou si vous brassez avec de l’eau non potable ou des ingrédients douteux (mais là j'aurais plutôt envie de vous dire : Pourquoi ?!), mieux vaut ne pas prendre de risques. Il en va de même si vous tentez de brasser une bière sans alcool (raison pour laquelle je n'ai personnellement encore jamais osé me lancer..) mais ça, on le traitera dans un autre article..
Au final, comme le confirme notamment John Palmer (dans son livre « How to Brew ») : une bière infectée peut être mauvaise au goût, mais rarement nocive pour la santé.
Conclusion
On l'aura compris, les infections font partie du jeu et elles peuvent même arriver aux plus expérimentés d’entre-nous. L’important, c’est de les comprendre, de savoir les identifier, et de préparer son environnement pour qu’elles ne restent qu’une exception (qui, d’ailleurs, peut parfois donner pour résultat une bière encore plus intéressante qu’avant infection, mais ça encore une fois, on en parlera très prochainement). Alors, si un jour vous voyez un truc étrange dans votre cuve... respirez, observez, et analysez. Et au final, chaque erreur est plutôt à voir comme une opportunité d’apprendre de nouvelles choses !
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Sources :
How to brew, John Palmer
American Sour Beer, Michael Tonsmeire
www.beerandbrewing.com/dictionary/ElX06oBvlU/
www.morebeer.com
beermaverick.com/potential-infection-points-during-home-brewing/
www.biomerieux-industry.com/es/node/1163