Brasser un Imperial Stout - Partie 1 : sélectionner les grains

Brasser un Imperial Stout - Partie 1 : sélectionner les grains

Alice Leroy 25/10/24 - 10 minutes.

Noël approche à grands pas et il est temps de préparer notre recette brassée spécialement pour l'occasion. Oui, mais non. Enfin si. Mais comme on est déjà fin octobre, ok elle sera buvable pour ce Noël-ci mais plutôt affinée et incroyable pour le Noël suivant. Qu'à cela ne tienne, l'envie de me lancer dans le sujet est plus forte et j'ai donc commencé à cumuler les recherches pour mettre toutes les chances de mon côté et ainsi brasser mon tout premier Imperial Stout. On voit ça ensemble ? C'est parti !

On commence par le commencement : qu'est-ce qu'un Imperial Stout ?

D'origines anglaises, l'Imperial Stout est une bière riche à la robe souvent très foncée voire complètement noire, qui trouve principalement sa complexité dans sa liste de grains aux notes aussi bien de chocolat, de café, torréfiées ou encore de caramel.

 

Ses caractéristiques générales, rassemblées dans le guide BJCP indiquent des fourchettes de densités initiales et finales particulièrement élevées, ce qui met en relief plusieurs points :

  • OG: 1,075 - 1,115 et ABV: 8.0 - 12.0% : c'est une bière qui présente un taux d'alcool important. La fourchette de 8 à 12% est assez large mais, soyons honnête, en général on trouvera plus des Imperial Stout tournant autour de 10 et 11% voire plus qu'autour des 8%.
  • FG: 1.018 - 1.030 : c'est une bière qui a du corps, ronde, avec une présence significative de sucres résiduels.
  • IBUs: 50 - 90 : le houblon, bien que loin d'être l'ingrédient mis sur le devant de la scène dans ce style, joue quand même un rôle important : celui de contrebalancer le côté sucré qui pourrait facilement devenir écoeurant.

Ces différentes caractéristiques représente quelques défis lorsqu'il s'agit de brasser un Imperial Stout. Les premiers qui me viennent en tête :

  • Trouver une combinaison de grains harmonieuse tout en créant différentes textures de saveurs et d'arômes.
  • Ne pas tomber dans quelque chose de trop sucré ou écoeurant.
  • Savoir gérer l'empâtage et la filtration d'une quantité très important de grains (on est sur pratiquement le double de ce que l'on aurait besoin pour une bière plus "classique", avec un ABV autour des 5 - 6%).
  • Le choix de la levure et sa viabilité sont également deux thèmes qu'il ne faut pas prendre à la légère avec ce genre de style, mais ça, ça sera le sujet d'un prochain article ;)

Bon, maintenant qu'on a revu les grandes lignes de ce style, ça y est, on peut se lancer dans la composition de ce qui fait le coeur de cette bière : sa liste de grains.

Composer la liste de grains d'un Imperial Stout

C'est un fait, la complexité d'un Imperial Stout repose essentiellement sur ses notes maltées et son corps robuste. Ça représente un énorme terrain de jeu où l'on va pouvoir expérimenter en testant différents malts mais aussi différents pourcentages de chacun. C'est aussi une grande opportunité pour ... se perdre dans tous les choix possibles et inimaginables. Pour s'y retrouver, je suis tombée sur un article de byob.com (1) "Tips from the pros" où, Eric Asebrook, de la brasserie américaine Thirsty Dog Brewing Company, donne une piste qui m'a semblée intéressante : pour une recette riche et une bonne complexité, on peut partir sur un choix de 7 grains/malts différents, dont 1 à 3 malts caramel et 1 à 3 malts torréfiés. Voilà, le ton est lancé.

Comme je le mentionnais plus haut, on veut principalement chercher du cacao, du café, du caramel ou encore un petit côté torréfié qu'on va travailler par couches en essayant de rester équilibré et harmonieux. On veut aussi du corps, beaucoup de corps et, si possible, un beau col de mousse avec une bonne rétention. Tout un programme.

Le choix du malt de base

Comme dans tous les styles, le malt de base est indispensable pour brasser une bière, c'est lui qui va fournir la majorité des enzymes nécessaires à la conversion de l'amidon des grains en différents sucres, plus ou moins fermentescibles selon la température d'empâtage à laquelle ils seront convertis.

J'avais déjà ma petite idée avant de me lancer dans la recherche et la comparaison de pas mal de recettes. Personnellement, j'aime beaucoup le Maris Otter et dernièrement, je l'utilise dans pratiquement toutes mes recettes.Je pense que le choix de ce malt est d'autant plus pertinent ici, puisque, comme je le précise depuis le début de cet article, on veut justement une base maltée de caractère et expressive. Bim, c'est tout pile ce qu'est le Maris Otter. Bien sûr, libre à vous de vous éloigner de l'avis absolument pas objectif que je viens de vous donner et de partir sur un autre malt de base.

Sur le site beeranalytics.com (2), deux malts ressortent particulièrement :

  • Le malt Maris Otter (eh oui) : en plus de tous les compliments que je viens d'en faire, ce malt anglais est décrit comme pouvant donner des notes de céréales et de noix, j'ai hâte de vérifier ça dans un futur SMaSH :)
  • Le malt Pale Ale : malt de base un peu moins marqué que Maris Otter mais quand même plus que malt Pilsen
  • Le malt Munich : il n'apparaît pas dans les statistiques de beeranalytics mais, je l'ai trouvé dans pas mal de recettes, combiné, la plupart du temps, avec le Maris Otter, avec quand même toujours un pourcentage plus important pour le Maris Otter que le Munich, de l'ordre de 2/3 - 1/3 environ. Le malt Munich est un choix intéressant pour commencer à apporter de la texture et une première complexité dès le choix du/des malts de de base.

Que dire de plus sur le choix du malt de base ? Attention à ne pas négliger son pourcentage, qui, dans la plupart des recettes que j'ai pu trouver, tourne autour des 70 - 80%.

Le choix du malt torréfié

Avant de commencer mes recherches pour créer ma première recette d'Imperial Stout, j'avais dans l'idée que dans ce style, c'était le malt caramel qui allait prendre une place centrale mais en fait, pas du tout. C'est principalement le malt torréfié - ou plutôt LES malts torréfiés - qui va/vont donner les notes directrices de notre bière. Et c'est vrai que si on y réfléchi bien, ça colle plutôt pas mal avec la description du style puisqu'au final, c'est plutôt dans cette famille de malts qu'on va trouver les notes de chocolat, de café ou encore torréfiées .. On s'attardera donc sur le malt caramel dans le paragraphe suivant, place ici, aux malts torréfiés.

Avant de vous parler des principaux d'entre-eux, je souhaite vous décrire dans les très grandes lignes le processus de "création" de ce type de malt. Loin de moi l'idée de vous donner un cours magistrale sur le touraillage, ce n'est absolument pas mon domaine mais je trouve qu'avoir une vague idée de comment un grain devient un grain torréfié ou caramel me semble très intéressant pour comprendre le rôle de chacun. Bref, pour se faire, je suis tombée sur un article descriptif sur le site de la malterie Simpson (3), qui présente la série de processus par lesquels va passer un grain (principalement de l'orge) afin de rentrer dans la belle famille des grains torréfiés (je le précise encore une fois, la description qui va suivre est très schématique) :

  1. Processus de germination.
  2. Mise au four pour séchage.
  3. Torréfaction à température très élevée (beaucoup plus que pour le malt caramel), à différents degrés selon le malt souhaité (un peu comme l'idée de la torréfaction du café).

À noter que pour la composition de la liste de grain, le pourcentage le plus largement donné est d'environ 10%, pourcentage à diviser entre plusieurs grains ! En moyenne, il est conseillé d'utiliser chaque grains torréfié à hauteur de 5 à 8% grand, grand maximum. Il est peut-être intéressant de partir du pourcentage le plus bas pour une première recette et d'augmenter si besoin lors de la tentative suivante ... 

Je vous présente donc ici les principaux malts torréfiés qui reviennent particulièrement dans toutes les recettes que j'ai pu trouver : 

  1. Le malt Chocolat - 900 EBC (version orge)
    Celui-ci, c'est celui que j'ai retrouvé le plus souvent, pratiquement dans toutes les recettes d'Imperial Stout. Attention, comme son nom ne l'indique absolument pas, il peut donner des notes de noix et des notes torréfiées. Il tient son nom de la couleur qu'il apporte à la bière et non des saveurs qu'il développe.
  2. Le "roasted barley" ou malt torréfié - 1200 EBC
    Deuxième malt torréfié retrouvé le plus souvent dans les recettes d'Imperial Stout. Celui-ci peut donner des notes torréfiées, de cacao, de café et de chocolat noir. La version que nous avons sur le site est sans écorce, ce que je trouve pas mal puisque ça permet de réduire son astringence.
  3. Le malt Black (parfois aussi nommé Black Patent dans certaines recettes américaines) - 1400 EBC
    À ma connaissance, c'est le malt le plus foncé qui soit, il donne des notes fumées et ... torréfiées. Avec celui-ci, il vaut mieux ne pas dépasser les 4-5%.
  4. Malt Chocolat version froment ou seigle
    Quelques variantes du malt Chocolat existent : le froment chocolat et le seigle chocolat. Le froment chocolat (qui titre de 800 à 1100 EBC) peut donner des notes de café, de pain grillé et de chocolat noir. Le seigle chocolat (beaucoup plus modeste en couleur puisqu'il atteint seulement 300 EBC), lui est aussi présent dans beaucoup de recettes. Il peut donner des notes épicées et terreuses et peut ajouter une dimension intéressante à notre Imperial Stout.

Le choix du malt caramel

À l'image de mon paragraphe précédent, je vais commencer celui-ci par les très très grandes lignes de la "création" du malt caramel. Informations tirées du site de la malterie Swaen (4)

  1. Céréale germée 
  2. Placée directement dans un torréfacteur (à tambour rotatif) encore humide (au lieu du four) 
  3. Placé à entre 65 et 75°C, ce qui active les enzymes alpha et beta : elles dégradent les différents composés en sucre (saccharification).  
  4. Pendant ce processus, l’intérieur des grains devient presque liquide. 
  5. Une fois que la majorité de l’humidité a disparu, on augmente la température à un minimum de 110°C pour commencer le processus de torréfaction. Les sucres liquides se caramélisent ou crystalisent, ce qui développe la couleur brune et les saveurs sucrées du malt caramel. 

Je ne sais pas vous mais jusqu'à maintenant je ne m'étais jamais vraiment posé la question de comment un grain se transformait réellement en tel ou tel malt et je trouve ce processus fascinant.

Pour revenir à notre création de recette, comme je vous le mentionnais plus haut, j'ai été surprise de voir que le malt caramel occupe souvent un place moindre - voire nulle - dans la composition d'un Imperial Stout. Il apporte une certaine complexité, du corps, améliore la couronne de mousse et sa rétention et - chose à laquelle je n'avais pas vraiment pensé mais qui, au final, paraît plutôt logique - son côté sucré permet justement d'équilibrer le côté torréfié et parfois astringent apporté par les grains torréfiés. Son ajout est donc recommandé mais dépendra vraiment du résultat que vous souhaitez obtenir (une bière plus ou moins ronde et sucrée, maltée ..) voilà pourquoi il me semble difficile de vous donner un pourcentage à respecter dans votre liste de grains. Personnellement, pour une première, mon objectif est justement d'obtenir une bière quand même assez sucrée, je pense donc en ajouter 2 voire trois différents. Ci-dessous, je vous donne une liste des principaux malts caramel à envisager si vous souhaitez également tester la chose, avec leurs notes respectives :

  • Cara Honey (60-80 EBC) : couleur rougeâtre, notes de caramel, sucre, pain.
  • Cara 120 : Notes de caramel et cassonade.
  • Cara Munich (130-200 EBC) : ambré foncé, cuivré, notes de malt, caramel, biscuit 
  • Cara 200 : notes de caramel, sucre, pain. Intéressant pour équilibrer amertume des Imperial Stout par exemple.
  • Froment Crystal (140-160 EBC) : blé au lieu d’orge, même processus. Donne notes de pain chaud, de biscuit, de caramel. 
  • Seigle Caramel (100-380 EBC) : seigle au lieu d’orge. Notes intenses de pain, café, chocolat noir, fruits secs. Sensation en bouche douce et veloutée. 

Les malts de spécialité

On parle souvent des malts torréfiés et des malts caramel mais il existe également une autre catégorie : les malts de spécialité. J'ai essaye de trouver une définition ou au moins une explication claire de l'existence de telle catégorie mais j'ai vite abandonné. L'important c'est plutôt de savoir ce qu'il peuvent apporter à notre breuvage, non ? :)

Voici donc également une liste non exhaustive des principaux qui me font de l'oeil :

  • Spécial B (300 EBC) : “le plus foncé des malts caramel belges”, très spécial, il apporte des notes de caramel, de fruits secs et de noix. Il est obtenu par un processus spécifique de double torréfaction. (5)
  • Biscuit (50 EBC) : le bien-nommé malt Biscuit apporte des notes de biscuit et de pain frais. Il est souvent mentionné comme faisant partie de la famille des torréfiés ET est indiqué qu’il passe par le four avant torréfaction donc je dirais que ça confirme que ce n’est pas vraiment un caramel. (6) 
  • Amber Aromatic (50 EBC) : notes de pain toasté, noix, fruits secs, couleur légèrement ambrée. 
  • Mélanoidin (60-80 EBC) : notes de croûtes de pain et céréales 
  • Coffee Mroost 450 : couleur brune, notes de café, caramel, noix grillées, fruits secs

Conseils pour augmenter le corps de la bière

Enfin si vous souhaitez ajouter du corps sans passer par l'ajout de malt caramel et/ou de spécialité (ou si vous voulez augmenter encore plus le corps de votre bière, en plus des malts caramel), je vous propose cette petite liste de conseils très pertinents que j'ai trouvé dans un article très intéressant de Beersmith (7), je vous les résume ici :

  • Utiliser plus de malts caramel (contiennent dextrines qui ne sont pas fermentescibles => pas consommés par la levure => se retrouvent dans la bière finie) => donnent plus de corps à la bière (dès 500g (pr 20L), même de CaraPils, on peut voir une dif sur le corps) 
  • Ajouter de la maltodextrine : sucre non fermentescible qui va donner du corps sans vraiment donner de goût sucré (usage recommandé : entre 250 et 500g pour 20L). 
  • Ajouter des grains crus/flocons/autres grains qu’orge : Froment, avoine, flocons d’orge ... Donnent plus de protéines, elles ne seront pas fermentées et donneront plus de texture au corps. 
  • Augmenter la température d’empâtage : pendant l’empâtage, le(s) pallier(s) de températures vont servir à activer certaines enzymes (8) : 
    • La beta-amylase sera plus active entre environ 62 - 64°C => elle converti l’amidon en sucres fermentescibles => ils seront consommés par la levure pendant la fermentation => résultat : moins de corps mais plus d’alcool, une bière plus ”sèche”, plus rafraîchissante. 
    • L’alpha amylase sera plus active autour d'environ 68-71°C => elle converti l’amidon en sucre non fermentescible (dextrine) => il ne sera pas consommé par la levure et sera donc présent dans la bière finie => résultat : plus de corps mais moins d’alcool, bière plus “sucrée”, ronde. 

La liste de grains d'un Imperial Sout, en résumé

Pour résumer, je dirais donc que pour créer une liste de grains pour un Imperial Stout avec une complexité suffisante, je partirais sur le schéma suivant :

  • 70 à 80 % de malt(s) de base
  • jusqu'à 8 voire 10% de malts torréfiés (attention pourcentage à diviser entre plusieurs grains torréfiés : minimum 2 ou 3 voire 4 !!)
  • Le pourcentage restant peut contenir
    • un ou des malts caramel
    • un ou des flocons / grains crus
    • de la maltodextrine

Voilà, avec toutes ces informations, je me sens prête à me lancer dans la création de la liste de grains de mon premier Imperial Stout. J'espère que ça sera le cas pour vous également. Nous partagerons très prochainement de nouveaux articles pour la suite de la création de cette recette, beaucoup d'éléments étant encore à prendre en compte.

Alors à bientôt pour de nouvelles aventures chocolatées !

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    Sources :

    (1)  https://byo.com/article/russian-imperial-stout-tips-from-the-pros/ 

    (2) https://www.beer-analytics.com/analyze/?styles=20C&hops=&fermentables=&yeasts=&ibu=0%2C301&abv=0%2C21&srm=0%2C101&og=1000%2C1151&charts=popular-fermentables-amount

    (3) https://www.simpsonsmalt.co.uk/blog/malt-production-process-roasting/

    (4) https://theswaen.com/roasted-malt/

    (5) https://brewpark.com/special-b-md

    (6) https://beerandbrewing.com/dictionary/aqoIkCsu6F/#:~:text=Biscuit%20Malt%2C%20a%20style%20of,about%2030%C2%B0%20Lovibond%2FSRM

    (7) https://beersmith.com/blog/2008/02/27/making-full-body-beer-at-home/

    (8) https://humebrew.com/how-mash-temperatures-affect-your-beer/

    2 commentaires

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      oifsap

    • Eeckels Patrick

      Bonjour. Merci pour ces précieuses informations que je mettrai en œuvre lors de mes prochains brassins de stout.
      Voici les ingrédients de ma recette de base pour Stout pour 20 L environ, brassée à plusieurs reprises avec succès .
      Malt Pale Ale: 5kg, Biscuit 50: 250g, Caramunich 90: 500g, flocons d’avoine: 500g, Carafa 1500: 350g, Houblon Target: 30g, First Gold: 40g. levure S-04.
      Empâtage en mono-palier (fonction de mon équipement).

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